Pourquoi s’intéresser au logement paysan ?
Le logement paysan est aujourd’hui encore un impensé des politiques d’installation/transmission agricoles.
C’est l’objectif fixé par la loi d’orientation agricole (2025) pour compenser le départ à la retraite de la moitié des chefs d’exploitation actuels. Pourtant, aucune stratégie sur le logement agricole n’accompagne aujourd’hui cette ambition. Pouvoir faire vivre ceux et celles qui nous nourrissent à proximité de leurs terres est également une question oubliée dans la majorité des Plans d’Alimentation Territoriaux.
Parmi lesquelles 1/3 sont des personnes non issues du monde agricole. Plus que les autres, ces « hors cadres familiaux », peinent à accéder à du foncier agricole et, de fait, à un logement proche des terres qu’ils cultivent. Beaucoup vivent à plusieurs dizaines de kilomètres de leur ferme ou dans des habitats précaires, ce qui fragilise leur projet professionnel et personnel.
Un coût inabordable pour un paysan seul. Ce tarif, couplé à une hausse de +52 % du prix de l’hectare de terre arable en 15 ans, rend l’accès aux fermes quasiment impossible à la quasi-totalité des accédants agricoles ou conditionné à un endettement à vie (Rapport Terre de Liens sur l’état des terres agricoles en France, 2022)
🥕 Des maraichers qui ne peuvent pas vivre sur leurs terres
Les fruits et légumes sont en augmentation dans l’alimentation des français et dans les installations agricoles. Par exemple, +65 % de maraîchers en 10 ans dans les Pyrénées-Atlantiques (Chiffres Chambre Agriculture et Conseil Départemental 64).
👴👵 La moitié des agriculteurs sera à la retraite dans moins de dix ans
Près d’un tiers n’est déjà pas remplacé à ce jour. Que se passe-t-il si aucune transmission ne peut être envisagée sur une ferme aujourd’hui ? C’est ainsi que les terres sont vendues d’un côté, partant le plus souvent à l’agrandissement de l’agriculteur voisin. Cela crée des exploitations de plus en plus dépendantes aux machines et énergies fossiles.
👪 Plus de la moitié des installants agricoles se compose de familles avec enfants
Dans une enquête menée par l’association RELIER en 2017 auprès de 115 ménages paysans au sujet de leur habitat, il apparaît que plus de la moitié des répondants sont des familles avec enfants, 24% sont des couples. De nombreuses villes tentent aujourd’hui de recréer leurs ceintures vertes.
🏡 Les besoins des paysans : des logements proches de leurs terres et à prix modéré
Dans une enquête menée en 2022 par ReNouveau Paysan et l’école supérieure Bordeaux Sciences Agro auprès d’agriculteurs hors cadres familiaux installés au Pays Basque, deux critères principaux sont apparus dans le choix d’un logement pour ces professionnels : la proximité avec les terres mises en production et le budget de ce logement.
Pourquoi remettre du social dans le monde paysan ?
💸 L’agriculture est l’une des professions les plus confrontées à la précarité financière
- 20 % des ménages agricoles vivent sous le seuil de pauvreté.
- 15 % des agriculteurs n’ont aucun revenu (INSEE, 2021).
- Revenu moyen : 1 800 €/mois, mais avec de fortes inégalités selon les productions (maraîchers et éleveurs bovins très touchés).
🧮 Des aides agricoles existent mais sont fortement inégalitaires
- Les aides PAC sont basées sur la surface, favorisant les grandes exploitations et un modèle productiviste.
- Pour les producteurs de viande bovine, 1/3 du revenu vient de la PAC, contre < 5 % pour les maraîchers.
- Une baisse des aides aux agriculteurs BIO s’observe sur la période 2023–2027.
🧠 Santé, isolement et mal-être
- 35,8 % des agriculteurs se déclarent pluriactifs pour parvenir à dégager un revenu en vue de subvenir à leurs besoins. Ce statut entraine des risques sur leur santé physique et mentale.
- 150 à 200 agriculteurs se suicident par an, soit 1 tous les deux jours. Le risque de suicide chez les assurés de la MSA est supérieur de 43,2% à la moyenne nationale (MSA).
- La profession agricole est frappée par l’isolement social, les conditions de vie difficiles, les sacrifices imposés par le métier ajouté aux difficultés financières à pouvoir en vivre.
Le monde agricole souffre d’un malaise social profond. Il n’est donc pas étonnant que la relève peine à consentir aux sacrifices que le métier suppose. Il devient urgent de dessiner des réponses concrètes, inspirantes pour améliorer les conditions de vie de ceux qui nous nourrissent. L’action en faveur du logement social paysan s’inscrit à ce sujet dans la lignée des projets de sécurité sociale alimentaire et de soutien à une agriculture paysanne émanant un peu partout en France.
Pourquoi mobiliser les collectivités et les bailleurs sociaux en agriculture ?
70% des ménages français sont éligibles à un logement social. Les bailleurs sociaux s’investissent pourtant rarement en zones rurales, quasiment jamais pour des paysans. Alors même que la profession agricole compte parmi les catégories sociales les plus précaires de tous les milieux professionnels.
Ainsi, l’intervention des bailleurs sociaux en réponse à la problématique de création de logements paysans est pertinente pour plusieurs raisons :
- Les paysans sont une frange de la population qu’il convient de soutenir en défendant leur droit social à un logement décent et proche de leurs terres
- Les bailleurs sociaux sont des spécialistes de l’habitat qui peuvent envisager plus facilement la réhabilitation des fermes en logements en comparaison d’organisations agricoles ou de groupes de citoyens
- Les bailleurs sociaux sont financés par des fonds publics dédiés au logement social (aide à la pierre, ANAH). En parallèle, ils peuvent bénéficier de taux d’emprunt avantageux et de prêts bancaires sur des durées d’amortissement plus longues que des structures classiques
- Les logements sociaux paysans pourraient proposer des loyers 20% inférieurs aux logements classiques. Sans compter les aides APL plus importantes qu’ils permettent de percevoir
- La réhabilitation des fermes permet aux bailleurs sociaux de s’expérimenter sur des modèles de sobriété foncière en zones Zéro Artificialisation Nette, ainsi que sur des techniques d’architecturale frugale sur des bâtiments anciens.
- Certains bailleurs sociaux sont nés de mouvements ouvriers collectifs. Ils ressemblent dans leur engagement aux initiatives actuelles de groupement de paysans (ex : le Comité Ouvrier du Logement né du mouvement ouvrier des Castors)
La dimension agricole
La plupart des territoires français ne disposent que de quelques jours d’autonomie alimentaire (15 jours pour la métropole de Bordeaux par exemple). De nombreux territoires soucieux de relocaliser la production d’aliments sains sont aujourd’hui à la recherche de solutions pour encourager l’installation de nouveaux paysans. Cependant, les Plans Alimentaires Territoriaux n’intègrent quasiment jamais la question du logement. De même, les Plans Locaux de l’Habitat ne font jamais mention d’une dimension agricole.
Les fermes ReNouveau Paysan
Une réponse adaptée au cas par cas
Pour loger décemment les paysans à proximité de leurs terres, ReNouveau Paysan accompagne les collectivités territoriales et bailleurs sociaux à la réhabilitation de fermes.
Ce mot « ferme » peut cependant prendre des formes multiples selon la situation de chaque lieu ou région géographique.
Dans la majorité des cas, nous privilégions la transformation du siège de l’exploitation en écohabitats sociaux, collectifs et paysans. Voir le schéma explicatif ci-dessous qui illustre le projet.
Concrètement une ferme ReNouveau Paysan, à quoi cela ressemble ?
Cliquez sur l'image pour découvrir les différents espaces des fermes ReNouveau Paysan
Logements pour des familles
Selon la taille des bâtisses, les fermes peuvent aussi prévoir des logements sociaux pour des familles non-agricoles souhaitant vive à la campagne (du T2 au T4). Les appartements basse consommation rénovés de manière frugale disposent de jardins privatifs. Ces familles sont les premier.e.s consommateur.trice.s des aliments produits sur le site.
Logements Sociaux Paysans
Dans un même contrat, les paysan.ne.s à l’installation disposent de terres arables, d’espaces professionnels (stockage, transformation, bureau) et d’un logement social pour leur famille (du T2 au T4). La ferme est ici rénovée de manière frugale pour créer des logements basse consommation disposant de jardins privatifs. Les contrats sont proposés à la location ou en accession sociale à la propriété du droit d’usage (seconde option en cours de développement
Aliments sains et de qualité
Les paysan.ne.s installé.e.s sur la ferme ont une activité agricole indépendante, pratiquée selon des approches agroécologiques (Bail Rural Environnemental). Ils sont accompagnés durant les premières années d'installation pour développer leur activité. Des haies et des mares autour des parcelles agricoles permettent le stockage d'eau et le renfort de biodiversité, favorables aux rendements de production.
Biodiversité
Le renfort de biodiversité sur les fermes ReNouveau Paysan consiste en premier lieu à replanter des haies et créer des mares à l'intérieur et autour des parcelles agricoles. En parallèle, les zones et espèces d'intérêt écologique sont prises en compte (ex : zones humides). La gestion de l'eau est pensée de manière circulaire : récupération des eaux de pluie, infiltration dans les sols, etc.
Vivre ensemble
La réhabilitation des fermes est pensée pour favoriser le lien social et l’entraide. Des espaces collectifs (ex : buanderie, "place de village", bureaux, dortoirs…) permettent aux voisins de se retrouver et de mutualiser certains espaces ou équipements. Les espaces verts sont composés de plantes comestibles pour favoriser des temps de cueillette collective. Le vivre ensemble peut être accompagné par des acteurs de l’habitat participatif et des dynamiques collectives. Nous ne maitrisons pas le PFH (P*** de Facteur Humain) mais nous pouvons créer des conditions fertiles pour la vie collective !
Liens avec l’extérieur
La ferme répond aux enjeux de productions alimentaires et contribue à la robustesse des territoires. Elle permet de renforcer aussi la vie dans les campagnes par les enfants qui y grandissent, les connexions qui s’y créent. La mobilité avec l’extérieur peut être pensée pour favoriser l’auto-partage par exemple.Un point de vente à la ferme ou un tiers-lieux proposant certains services au territoire peuvent aussi être imaginés avec les futurs habitants.
Si des terres agricoles sont disponibles sans bâtiment, il est aussi possible d’envisager la rénovation en plusieurs logements d’une maison située dans le centre-bourg le plus proche (rayon de 3km maximum).
De même, si un cédant déjà installé dans un système de production à taille humaine cherche à loger son repreneur, ReNouveau Paysan peut aussi accompagner la création de son logement par un bailleur social à l’intérieur d’un des bâtis de la ferme.
L’axe commun de toutes ces solutions demeure :
- la réhabilitation de bâtis ruraux plutôt que la construction sur des terres agricoles
- l’implication transversale des bailleurs sociaux, des collectivités et des structures agricoles dans les projets accompagnés
- la mise à disposition à des installants agricoles de logements décents, à loyer modéré, adapté à la taille de leur famille et à proximité de leurs terres pour garantir la viabilité de leur activité professionnelle
- le soutien aux projets agricoles nourriciers, diversifiés, à taille humaine et dans la mesure du possible collectifs
Les défis rencontrés
A ce jour, la création de logements sociaux paysans est une innovation dite « de rupture » qui se heurte à plusieurs freins. Depuis 2018, l’association ReNouveau Paysan et ses partenaires se mobilisent pour les lever progressivement.
Un nombre limité d’études
Un nombre limité d’études concernant la problématique du logement en tant que frein à la transmission/installation agricole. ReNouveau Paysan contribue à documenter cette question. L’association travaille en collaboration avec les acteurs de la recherche pour réinterroger l’histoire des fermes comme lieu de vie et de travail et ainsi penser leur devenir.
La difficulté à faire coopérer
La difficulté à faire coopérer des acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble (acteurs agricoles, acteurs du logement, acteurs du foncier, collectivités, acteurs académiques…). Pour cette raison, ReNouveau Paysan crée des transversalités et des espaces de réflexion collective entre ces acteurs.
La non-reconnaissance
La non-reconnaissance officielle par les services de l’État et la profession agricole d’un droit au logement social pour les paysans et plus globalement d’un droit à habiter à proximité de ses terres au regard des changements climatiques actuels.
La pauvreté des outils
La pauvreté des outils, en particulier juridiques, permettant de recréer l’unité habitat/terres que constituent les fermes. A ce titre, ReNouveau Paysan et ses partenaires militent pour que des solutions soient trouvées avec les services de l’État. L’objectif étant de lier la mise à disposition d’un logement social et de terres agricoles. L’association a déposé depuis 2020 une demande de création d’un Bail Social Paysan auprès du service France Expérimentation rattaché au cabinet du Premier Ministre. Elle travaille également avec différentes collectivités et bailleurs à l’adaptation des dispositifs du logement social au monde agricole (Résidences Sociales, Bail Réel Solidaire, Coopérative d’habitants…)… Et du monde agricole vers le logement social (Baux ruraux intégrant des logements sociaux).
L’inexistence d’exemples
L’inexistence d’exemples concrets. Parce que l’association est convaincue que l’innovation sociale passe par l’expérimentation, ReNouveau Paysan accompagne la mise en œuvre de projets-pilotes collaboratifs.
Aujourd’hui, c’est grâce à la coopération d’acteurs volontaristes à tous les échelons que des modèles de logements sociaux paysans prennent progressivement forme.
Si vous souhaitez soutenir la démarche d’innovation portée par Renouveau Paysan et ses partenaires, contactez-nous.
Retrouvez notre plaidoyer plus complet et le lien vers le courrier adressé aux ministères sur notre page Documentation.
